Webinaire Compani - "Pourquoi aller vers une organisation autonome dans le médico-social ?"
De plus en plus de structures du médico-social font le constat que les modes d’organisation classiques hiérarchiques basés sur le contrôle ne permettent pas de répondre efficacement aux enjeux du secteur. La crise sanitaire en a été une illustration et le manque d’attractivité des métiers de l'aide et du soin en est une autre.
Sur ce constat, différents dirigeants ont engagé un changement de paradigme en mettant en place des fonctionnements basés sur la confiance et l’autonomie des équipes.
Pendant ce webinaire, un SAAD de l’AMF-AD et un EHPAD de la Croix-Rouge française ont témoigné de leur expérience de la transformation dans leur organisation. Retrouvez ainsi les témoignages de Leila Lollieux, directrice générale adjointe de l’EHPAD de la Croix-Rouge à Fournes en Weppes, Émilie Desmazières, gestionnaire RH et coach d’équipe dans ce même EHPAD, Arnaud Caille, directeur de l’AMF-AD et Laëtitia Cail, auxiliaire de vie à l’AMF-AD depuis 3 ans. Aux côtés de Marie Delorme, Responsable accompagnement chez Compani, ils sont revenus sur leurs motivations initiales et sur les bénéfices de ce changement organisationnel.
Facteurs de décision, espoir, mise en place : au coeur de l’émergence d’une nouvelle organisation
Marie : Comment a germé l’idée d’engager une transformation managériale ?
Arnaud : Quand je suis arrivé il y a 3 ans, l’organisation était très rigide et pyramidale. Il y avait beaucoup de problématiques liées à la perte de sens pour tous les professionnels, ce qui impliquait de grosses tensions entre les équipes. La satisfaction des bénéficiaires et la qualité de prise en charge n'étaient pas bonnes.
J’étais déjà sensible au concept d’entreprise libérée, et j’étais en contact avec des collègues qui avaient mis en œuvre ou qui mettaient en œuvre ce type d’organisation.
J’étais plutôt dubitatif au départ, et j’appréhendais un modèle idéaliste qui ne pouvait pas marcher en France.
Marie : Laëtitia, toi comment as-tu réagi lorsque Arnaud a commencé à parler de ces projets à l’AMF-AD ? Comment as-tu vécu ce démarrage ?
Laëtitia : Au départ, j’étais très perplexe. Il m’était difficile d’imaginer appliquer ce projet dans notre association pyramidale. J'ai cherché toutes les raisons du monde pour dire que ce ne serait pas réalisable. Mais très vite, j'ai cherché à m'informer sur ce sujet et grâce aux formations ma vision à totalement changé.
Au démarrage, j'étais très inquiète car les équipes ont démarré progressivement. Nous avions l'impression de ne pas avancer assez vite alors que c'était totalement l'inverse, nous avons évolué beaucoup plus vite que nous le pensions, et sans même nous en rendre compte.
Marie : Émilie de ton côté, peux-tu nous raconter la genèse du projet ? Comment as-tu vécu le démarrage du projet ?
Émilie : En 2019, la croix rouge a formalisé sa volonté d’un accompagnement respectueux des besoins et des attentes des personnes accompagnées au travers de son plaidoyer “pour une société de la longévité”. Il était nécessaire de faire également évoluer nos organisations en se tournant vers une transformation managériale plus participative consistant à réinventer la structure hiérarchique et la posture des professionnels vis-à-vis de l’accompagnement, le but étant de renforcer la reconnaissance de l’autonomie des professionnels et le partage des responsabilités.
Au démarrage de ce projet, j’avais du mal à comprendre comment nous allions y arriver, comment nous allions redonner “du pouvoir” aux salariés. Je vous avoue que j’étais sceptique. Puis au fur et à mesure, j’ai compris le potentiel, l'intérêt qu’il y avait à revoir notre structure hiérarchique. Tous les acteurs seraient gagnants: les managers, les salariés et les personnes accompagnées.
Motivations, doutes, et changements effectifs : quels sont les enjeux d’une transformation structurelle au sein d’une organisation ?
Marie : Racontez-nous quels ont été vos doutes, peurs, appréhensions ? Que sont-ils devenus ?
Arnaud : Au tout départ, je craignais que cela ne fonctionne pas sur notre association, car ce n’était pas dans la culture. Je craignais également qu’en travaillant de manière plus collaborative et libérée, l’organisation devienne un petit peu anarchique. Enfin, j’avais des craintes financières et juridiques engendrées par les changements de posture et de responsabilités.
Émilie : La difficulté pour moi était de comprendre ce que l’on attendait de nous dans cette transformation. Nous avons tout d’abord suivi des formations pour nous aider à comprendre cette nouvelle façon d’interagir avec nos équipes. Avant d’accompagner les équipes, il était important que les encadrants cheminent. Les formations que nous avons suivies m’ont beaucoup apporté en termes de communication, de gestion des conflits et m’ont aidé à écouter davantage les salariés en les invitant à s’exprimer librement. De ce fait, les appréhensions que j’avais se sont peu à peu dissipées.
Laëtitia : La surcharge de travail m’inquiétait, j’appréhendais de travailler en équipe, et d’avoir de nouvelles responsabilités à gérer. La peur de l'inconnu s'est envolée. Sans même le savoir, nous avions toutes les clés pour réussir et ainsi améliorer nos conditions de travail, et surtout prendre soin de nos bénéficiaires. À l'heure actuelle, nous ne pourrions plus revenir en arrière.
Laila : Au début, le temps, c’est de voir s’imposer une deadline pour une mise en place. Maintenant, je suis à l'affût de tous les signaux qui risquent de casser cette dynamique. La formation des coachs a permis de tisser des liens et une envie de travailler ensemble vers un même objectif. Même si nous ne sommes pas forcément tout le temps d’accord, nous veillons à ne pas perdre le sens du “pour qui” et “pour quoi” nous travaillons.
Marie : Pourquoi parle-t-on de transformation ? Qu’est-ce que ça a changé dans votre travail ?
Émilie : Le mot “transformation” peut faire peur, mais effectivement il est adapté. Nous avons toujours appris et sommes ancrés dans une organisation très pyramidale, depuis notre plus jeune âge.
Avant d’accompagner les équipes, il était nécessaire de penser cette organisation différemment. J’ai aujourd’hui le sentiment de faire davantage partie de l’équipe. Les salariés ont le sentiment d’être mieux reconnus pour le travail accompli aussi bien par leurs responsables, leurs collègues, les personnes accompagnées et leurs familles. J’ai l’impression également qu’ils ont gagné en confiance vis à vis de leur employeur, avec un soutien plus important. Le partage des responsabilités a permis une plus grande participation des salariés à la vie de l’établissement et à la prise de décisions.
Arnaud : La transformation est d’abord personnelle en tant que dirigeant. Elle nécessite de travailler sur les croyances, la posture, la relation à l’égo, l’alignement, etc… Elle est aussi culturelle au sein de l’organisation : il s’agit d’oser la liberté et la confiance pour simplifier toute l’organisation dans le but de mieux accompagner les bénéficiaires.
Concrètement, l’ambiance s’est améliorée et les relations sont apaisées, les réclamations des bénéficiaires ont baissé, le taux d’absentéisme également. L’énergie négative s’est transformée en énergie positive. Sans cette transformation, les salariés auraient changé de métier, voire changé de secteur.
Laëtitia : Cette nouvelle organisation a apporté une réelle confiance et autonomie des équipes, une co-responsabilité qui crée une appartenance à l'association, et l’abolition d’un système pyramidal. Concrètement dans notre travail, il y a un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée, et le bien-être se fait ressentir dans la vie quotidienne des équipes. Les familles des bénéficiaires sont reconnues.
Confiance, responsabilités, autonomie : les bénéfices d’une organisation collaborative
Marie : Comment vous sentez-vous maintenant ?
Émilie : J’ai confiance en cette nouvelle vision, cette nouvelle organisation et je suis persuadée que l’impact à long terme se fera sentir à tous les niveaux par une amélioration de la qualité de vie au travail pour tous les salariés quelque soit leur poste mais également une amélioration de la qualité d’accompagnement.
Laëtitia : Je me sens dans une bulle de confort au sein de notre équipe. Nous sommes beaucoup plus sereines dans notre travail au quotidien et à l’écoute des autres.
Marie : Est-ce que la tentation de revenir en arrière existe ? Pourquoi ?
Arnaud : Durant la transformation, il y a des moments un peu plus difficiles, des résistances qui nous ont amené à nous questionner. Mais aujourd’hui, envisager un retour en arrière est impossible.
Laëtitia : Impossible de revenir en arrière ! Cela voudrait dire subir notre ancienne organisation avec laquelle nous étions au bord de l'épuisement professionnel, nous avions perdu l'essence même de notre métier.
Laila : Non, nous devons accepter l’idée que nous ne démarrons pas tous du même point donc que l'évolution ne s’engage pas au même rythme. Nous devons aussi accepter que l’autre ait peur… La confiance est quelque chose qui se construit avec le temps. Pour moi, il ne faut surtout pas perdre le sens.
Marie : Que diriez-vous à des personnes qui se posent la question d’engager de telles transformations ?
Émilie : C’est un superbe projet qui sera bénéfique pour tous. Partager davantage les responsabilités avec l’équipe ne veut pas dire qu’il n’y a plus de cadre à respecter. Il faut réussir à placer le curseur au bon niveau, donner suffisamment de liberté aux équipes, tout en gardant le contrôle de la situation pour respecter le cadre légal. Il ne faut rien lâcher et sans cesse redonner une impulsion pour continuer cette transformation.
Arnaud : Ne pensez pas que l'autonomie signifie l’anarchie. Au contraire, les règles sont simplifiées mais bien présentes et très importantes. Si vous sentez que vous êtes dans un système dans lequel vous vous trouvez dans une impasse, renversez la table sans attendre que le changement vienne des autres. On ne peut se changer que soi-même. On peut changer son système mais on ne peut pas changer les autres.
Laila : La transformation, c’est une belle aventure humaine, qu’il faut bien préparer en amont, adapter à chaque équipe et à chaque histoire.
Pour entamer une transformation bénéfique, tout part des personnes, d’une envie, d’une vision. Il n’existe pas de modèle figé mais un cheminement qu’il convient à chacun de trouver pour être en adéquation.
Structures d’aide à domicile ou établissements médico-sociaux, le fonctionnement est différent, mais la philosophie est identique et se fonde sur 3 piliers :
- Remettre du sens dans le travail : pour qui et pour quoi nous travaillons ? Retrouver la finalité du métier : prendre soin du bénéficiaire,
- Faire la pari de la confiance auprès de toutes les personnes de la structure : essentiel pour donner l’autonomie et le pouvoir d’agir aux équipes, et libérer le dirigeant,
- Apprendre à communiquer et avoir des outils pour bien collaborer. C’est la clé de la responsabilité collective, et donc du travail en équipe.